Ce texte se trouvait jusque là dans la rubrique "news" sous le titre "Steve Lacy joue faux et pas en place". La revue "Improjazz" nous ayant proposé de le publier, nous le présentons ici (seule une introduction a été ajoutée - le reste du texte n'a pas été modifié).
Le texte ci-dessous est une "lettre ouverte" à Jean-Louis Chautemps. Elle fait suite à sa critique de " Findings, my experience with the soprano saxophone " , ouvrage de Steve Lacy récemment paru ; elle a d'abord été envoyée à Lucien Malson, directement concerné puisque responsable de l'émission et de la revue où Jean-Louis Chautemps s'est exprimé par deux fois.
Comme M. Malson n'a pas daigné nous répondre, nous avons proposé ce texte à Philippe Carles pour les lecteurs de Jazz Magazine ; il nous a répondu qu'il lui semblait inutile de jeter de l'huile sur le feu. Bref, nous allions passer l'éponge quand Jacques Oger, dans ces mêmes colonnes (Improjazz 33 de mars 97), nous confortait dans la nécessité de ne pas laisser dire n'importe quoi par n'importe qui. Philippe Renaud, à son tour, nous encourageait à publier cette mise au point ; qu'ils en soient ici tous les deux remerciés.
Voici ce dont il s'agit :
Jean-Louis Chautemps, musicien-expert de l'émission Black and Blue sur France Culture, a fait sur l'antenne la critique de Steve Lacy, saxophoniste et auteur de Findings, my experience with the soprano saxophone. M. Chautemps répète son point de vue dans le numéro 9 de la revue trimestrielle les Cahiers du Jazz, sous le titre "Pour une réhabilitation de la médisance - Trois saxes dont on parle" (dans l'ordre : Joe Henderson, Steve Lacy et Steve Coleman).
On connaît assez l'esprit farceur de M. Chautemps - qui se définit lui-même comme le "nain de jardin du jazz français" - pour ne pas prêter à ses piques, somme toute bon enfant, plus d'importance qu'elles ne le méritent. Si nous décidons aujourd'hui de rectifier ses propos (en tant que prétendu "nègre" de l'auteur de Findings, selon l'élégante expression de M. Chautemps), c'est que nous craignons qu'ils ne profitent indûment, auprès d'un public non averti, de l'autorité du comité de rédaction de la revue (Lucien Malson et Alain Gerber, producteurs de Black and Blue, sont respectivement Directeur et membre du Comité d'étude et de lecture des Cahiers du Jazz).
Nous passons sur le relevé des coquilles qui semblent obséder M. Chautemps : le "bugle" mal traduit page 24, le "si bécarre" oublié dans la traduction française en haut de la page 62, l'ont visiblement fort troublé, pour qu'il leur consacre, après d'amples interventions radiodiffusées, encore une demi-page dans les Cahiers... Autant d'hénormes errreurs qui seront corrigées dans la prochaine édition !
Sa critique devient réellement médisante quand il estime que livrer "un même exercice transposé dans toutes les tonalités" revient à "vendre du papier". Ne faudrait-il alors n'écrire qu'une seule gamme, qu'un seul arpège ? La transposition à vue serait-elle une capacité innée partagée par tous les musiciens ? Un minimum de réflexion (pour ne pas dire de pratique) pédagogique montre la nécessité de proposer des exercices aux objectifs clairement identifiés et peu nombreux (à tout le moins aux débutants qui ne peuvent en même temps travailler de manière efficace la lecture à vue, l'oreille, la transposition, le son, etc).
Si la médisance plonge ses racines dans le subconscient, noir terreau des refoulements, on devine la profondeur de l'entaille par où elle sourd au travers de paroles telles que "derrière toute cette entreprise une image de marque à défendre : il faut passer pour un aventurier, un novateur, un casse-cou, un infatigable expérimentateur". Nulle surprise que M. Chautemps, qui semble soumis aux tiraillements contradictoires de la critique et de l'admiration, réfute et accorde en même temps les qualités d'aventurier et de casse-cou à son sujet : ne déclare-t-il pas en effet, avant de se rétracter, que Steve Lacy "s'expose ici courageusement. Il abat son jeu en toute franchise." ? Même fascination réticente lorsqu'il regrette que la biographie "se contente de recopier les pages flatteuses de l'indispensable Dictionnaire Laffont". Est-ce flagornerie que de citer les musiciens avec lesquels Steve Lacy a joué (parmi lesquels Pee Wee Russell, Thelonious Monk, Gil Evans...) ? Le seul paragraphe véritablement flatteur, car plus subjectif de l'article de Philippe Carles et Xavier Daverat a d'ailleurs été retiré. Il ne nous semblait pas injustifié, au contraire, mais nous avons préféré laisser au lecteur / auditeur le soin de vérifier par lui-même que Steve Lacy est "un musicien de tout premier plan, seul à avoir exploré, exploité les moindres possibles et ailleurs d'un instrument aux registres et performances, a priori, très limités, pour en faire l'outil absolu de tous les jazz et musiques, avec, de l'aigu le plus pincé aux rondeurs les plus épanouies dans les graves, une sonorité d'une rare plénitude et d'une tranquille évidence."
Enfin, M. Chautemps, qui semble n'écouter de musique qu'avec un accordeur électronique à portée de main, affirme que Steve Lacy joue faux. Il en veut pour preuve la série de La graves (pour le soprano), qui figure au début du disque d'exercices. L'enregistrement a été conçu pour restituer "une journée" du saxophoniste, depuis le travail de l'instrument le matin jusqu'au concert le soir. Dans cette optique, il avait été décidé que Steve Lacy serait enregistré dès le début de la session, c'est-à-dire dans un studio frais, avec un instrument sortant de son étui et une anche à peine "réveillée" : autrement dit, dans les pires conditions pour un saxophoniste ! M. Chautemps, qui a lui-même une pratique de l'instrument, devrait savoir que démontrer le manque de justesse de ces notes tenues, jouées précisément pour réchauffer l'instrument, est un " exercice " qui a autant de sens logique et d'intérêt esthétique que celui qui consisterait à juger une toile en examinant la palette au colorimètre, ou un texte en mesurant l'épaisseur de la plume au pied à coulisse...
Si les Cahiers du Jazz font à nouveau écho aux propos de M. Chautemps à Black and Blue, pouvons-nous lui suggérer d'ajouter à ses notes de l'émission du 16 octobre (consacrée au 44e référendum des critiques internationaux de Down Beat) deux informations qu'il n'a pas relevées ? La première, c'est que Steve Lacy a été élu "meilleur saxophoniste soprano" à vie par un référendum de Down Beat ; la deuxième, c'est que les deux disques de Findings ont obtenu la meilleure "note" (5 étoiles) dans le numéro de juin 1996 du magazine américain. Voilà de quoi alimenter ses (éventuelles) prochaines médisances...