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Le Nouvel ObservateurC'était il y a déjà vingt-deux ans, dans la cave d'un club aujourd'hui disparu, à deux pas du Châtelet. Là, durant quelques magiques soirées d'août dans un Paris désert, eurent lieu des dialogues inoubliables entre deux dévots monkiens, le pianiste Mal Waldron, récemment disparu, et Steve Lacy, génial sopraniste. Au programme, beaucoup de Thelonious évidemment. Et pas un cliché. Juste deux intelligences joueuses, deux sensibilités rigoureuses. Et la beauté au bout. Bernard Loupias (Le Nouvel Observateur - 15/05/2003) |
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LibérationDans les années 80, le Dreher était l'un des hauts lieux du jazz à Paris. C'est là que Chet Baker entama l'ultime come-back de sa carrière. Là aussi que le soprano Steve Lacy, alors Parisien adoptif, eut l'occasion d'accueillir, seul ou avec son quartette, quelques relations de passage. Mal Waldron, par exemple, son complément monkien, rencontré à New York dès la fin des années 50, à l'époque où l'un s'affichait avant-gardiste au côté de Cecil Taylor, quand l'autre travaillait d'arrache-clavier aux fondements du Pithecanthropus Erectus de Charles Mingus. «Quand nous nous sommes retrouvés en Europe, les choses ont repris là où elles en étaient restées», témoignera plus tard Mal Waldron, après avoir choisi de partager son temps entre Rome et Munich. De fait, le dernier accompagnateur de Billie Holiday sera l'un des rares pianistes avec lesquels le saxophoniste collaborera volontiers, peut-être parce qu'il retrouvait dans certaines de ses compositions, The Seagulls of Kristiansund par exemple, l'esprit de Thelonious Monk. Aujourd'hui, Mal Waldron s'est éteint, Steve Lacy est retourné aux Etats-Unis et le Dreher jazzy n'existe plus. Reste donc ce quadruple CD en témoignage d'une époque magique. Serge Loupien (Libération - 25/04/2003) |
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Jazzman - choc[ ] En écho de ses performances en solo débutées à l'aube des années 70, Steve Lacy poursuit un travail ascétique sur le son, qui se dévoile en des séquences labyrinthiques. Le saxophoniste creuse la matière sonore, la modèle, l'écorche, forgeant dans l'instant un ouvrage hypnotique. En contrepoint, Mal Waldron s'approprie chacune de ces quêtes, en fait résonner la part sombre d'une attaque percussive. Elliptique, abrupt ou parfois sentencieux, le pianiste porte avec lui la mémoire du blues. [ ] Thierry Lepin (Jazz Man - 05/2003) |
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Jazzman -
Un seul disque ne résume pas une carrière ou une oeuvre, mais réjouissons-nous : on a beaucoup de Lacy et beaucoup de Waldron dans ce double album. Enregistré live en 1981, au défunt Café Dreher, il permet d'abord de retrouver des pièces qui s'étirent dans le temps avec la longueur du live, d'entendre deux fois certains des titres, d'éprouver cette joie proprement inlassable du rabâchage et de frissonner aux audaces dont ils sont porteurs (écoutez la coda de Well You Needn't sur le deuxième disque, vous m'en en direz des nouvelles). Les deux musiciens pratiquent le duo piano-soprano depuis bien longtemps maintenant et le répertoire de cet enregistrement (Lacy, Monk, plus un morceau de Waldron) montre fort bien l'étroite parenté de ces trois étoiles. Spirales obsédantes, possessions lentes, hypnoses des symétries... Mais ces symétries sont trompeuses : à chaque tour de roue un décalage qu'on rattrapera en recadrant autrement au coup suivant... C'est toute une philosophie du swing que nous proposent ces balanciers répétitifs autour d'un point de gravité qu'on sent toujours présent et toujours en fuite. Hypnose ? Soit, mais pour autant aucune complaisance ; l'artiste reste lucide, il n'est pas question de perdre pied. On est au plus près de la réalité concrète de la musique, face à une attention jamais démentie au timbre, au grain et au souffle. Et la beauté de ce duo tient dans ce constant funambulisme entre la vigilance et la transe. Yvan Amar (Jazzman 23 - 3/97) |
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Jazz MagazinePremière trace de la séance : un disque d'extraits, sous le label Hat Music, chroniqué dans le n. 320 (juillet-août 83). C'est Philippe Carles qui s'y colle, parfaitement concis (11 lignes). Je cite, car il n'y a rien à dire de mieux : "Quand deux pans d'histoire, quand deux phases de la modernité se rencontrent, se tisse un discours commun. L'un est pesant, minéral, insistant, réitérant ; l'autre est vif, fluide, lapidaire. D'où une harmonie puissante et presque simpliste ; et aussi l'effet d'une ancienne complicité. Une grave jubilation". Philippe Méziat (Jazz Magazine 468, 3/97) |
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Jazzman"Deux vieilles connaissances new-yorkaises, toutes deux parties chercher la bonne fortune en Europe dès les années 60, conversent au fil de leurs idées en août 1981 dans l'un des hauts lieux de l'autre capitale en jazz, Paris, le Dreher. Le dialogue est intense et léger, coloré et drôle à souhait, tantôt in tantôt out. Le plus, c'est deux vies en jazz débutées dès les années 50 ; c'est tout le registre de cette musique, du swing le plus aérien aux dissonances les plus impossibles, la note juste suspendue puis le flot d'une évidente digression; c'est une somme de rencontres et d'expériences, d'envies passées et à venir. Le plus, c'est deux vies qui se sont maintes fois croisées, sur scène ou sur disques (voir l'indispensable Reflections en 1958). Le plus, c'est un langage commun, un plaisir de l'intimité du dialogue, fait d'accents et de pointillés, de parenthèses aussi. Le plus finalement, c'est l'ombre tutélaire de Monk, qui va bientôt s'éclipser. Soleil noir qui luit et les éclaire sans leur faire d'ombre." Jacques Denis (Jazzman - 10/1996) |
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Jazz Magazine"Chacun campant dans sa singularité, le paradoxe veut que le duo que Steve Lacy et Mal Waldron forment soit probablement l'un des plus durables qui ait jamais existé. Ce long compagnonnage se fonde sur une communauté esthétique et la dévotion à Monk ; ils ont joué et enregistré pratiquement tous les thèmes du maître dont l'ombre plane encore sur leurs propres compositions. C'est la rigueur que leur a enseigné Thelonious, cet acharnement à traquer la perfection jusque dans l'improvisation. Ce qui frappe en effet dans cette musique en train de naître, sans possibilité de reprise, c'est la totale adéquation entre l'intention, ou le désir, et le résultat. Ce qui est saisi, là, en direct, à la source, dans le risque permanent de l'instant, est transmué, fixé aussitôt dans la vibrante durée des oeuvres. N'est-ce pas l'âme même du jazz qui se manifeste en ces moments miraculeux ?" Gérard Bourgadier (Jazz Magazine 463 - 10/1986) |