Spécial instrumental:Points |
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(Steve Lacy - liner notes) |
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Recorded in 1978 |
Steve Lacy soprano saxophone Steve Potts soprano saxophone (A1,B1,B2,B3) Kent Carter bass (A1,A3) Oliver Johnson drums (A1,A3)
Ind. | Title | Composer | Dur. |
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A1/ | The Mooche | Duke Ellington | 5:00 |
A2/ | Pot-Pourri Solo | D.Ellington, Rogers & Hammerstein (arr. Steve Lacy) | 3:30 |
A3/ | Stalks | Steve Lacy | 12:30 |
B1/ | Free Point | 8:15 | |
B2/ | Still Point | 5:40 | |
B3/ | Moot Point | 5:30 |
Recorded at Studio Résonances in Paris (France), February 1978. Engineer: Robert Prudon.
Cover art: Anne-Marie Dufour. Photos: Michel Adda.
Le soprano est le plus brillant de la famille d'instruments inventés en 1840 par Adolphe Sax. La vie de ce Belge de génie a été un océan de malheurs parsemé de maladies, d'accidents, d'animosité, d'incompréhension, d'hostilité, de vols, d'incendies et même de sabotages. Ce qui n'empêcha pas cet exceptionnel pionnier musical de créer des familles entières d'instruments nouveaux - qui n'ont d'ailleurs pas tous prouvé leur utilité - et également de modifier et de perfectionner à d'innombrables reprises des instruments déjà existants comme la clarinette, la flûte ou la trompette. C'est en tant qu'inventeur du saxophone, naturellement, qu'il est le plus célèbre. Mais, il ne fut pas reconnu de son vivant ; aussi aimerais-je dédier ce disque à sa mémoire, en guise d'hommage.
Conçu, comme tous les saxophones, en tant quhybride entre les bois et les cuivres et, comme eux, principalement destinés aux fanfares militaires et aux orchestres symphoniques, le soprano ne conquit réellement sa véritable place qu'en 1919, date à laquelle Sidney Bechet le mena (en compagnie du jazz) aux avant-postes des barricades musicales, en Europe spécialement.
Sidney Bechet, Johnny Hodges et John Coltrane sont jusqu'à présent les trois maîtres (au sens fort) du soprano. Il y a eu d'autres joueurs de qualité tels que Tab Smith, Lucky Thompson, Wayne Shorter, Bob Wilber et quelques autres, mais ce sont les trois grands qui ont établi les critères.
Sidney Bechet, l'un des plus grands solistes de jazz, fut aussi jusqu'à sa mort, en 1959, le plus fort de ceux qui pratiquaient le fish-horn comme on disait alors. Hodges avait été son élève et son disciple dans les années 20. Non content d'être le plus important saxophoniste-alto jusqu'à la venue de Charlie Parker, Hodges était également passé maître sur le soprano, mais cessa d'en jouer dans les années 40. Coltrane lui-même avait joué (du ténor) dans la petite formation que Hodges avait rassemblée vers 1950. Ces sortes de liens du sang musicaux impliquent toujours contacts directs et jeux communs.
Quand je me mis au soprano en 1950, celui-ci se trouvait dans un état d'abandon et de désaffection quasi-complets. Bechet était en France, et moi, à New York, je pouvais croire que personne ne faisait rien sur cet instrument. On le tenait pour difficile à contrôler, criard et aussi désaccordé que démodé. Aujourd'hui, cet instrument est en plein épanouissement grâce à linfluence de Coltrane, et peut-être aussi à mes propres efforts ; on trouve de nombreux joueurs de premier ordre et les exigences techniques ne cessent de s'élever, entraînant même des améliorations dans la fabrication.
En jazz, tous les instruments sans exception connaissent en permanence des mutations révolutionnaires toujours dues aux découvertes des principaux solistes (Louis Armstrong, Coleman Hawkins, Dizzy Gillespie, Charlie Parker, Max Roach, Charlie Mingus, etc.) et par l'influence qui en découle.
Le saxophone, particulièrement le soprano, est capable d'extrêmes variations dynamiques (fort/faible, rugueux/lisse, vif/terne, bref/long, aigu/grave) et, avec de la pratique, on peut étendre jusqu'à quatre octaves (et plus ! ) sa tessiture normale de deux octaves et demie ; avec pour résultat un champ à peu près comparable à celui que couvre la main droite du piano. Ses voisins les plus proches sont la trompette, la clarinette, la flûte et le soprano de la voix humaine.
Le présent disque voudrait illustrer un certain nombre de points concernant le soprano selon ma propre expérience.
1.THE MOOCHE (Duke Ellington)
La découverte, aux tout débuts de mon adolescence, de linterprétation donnée de ce morceau par Bechet en 1941 constitua le facteur déterminant de mon choix du soprano. Dans cette version, Steve Potts et moi essayons d'approcher au maximum l'intensité fougueuse du son de Bechet en épaississant la ligne mélodique par un dédoublement à intervalle de seconde. Cet arrangement est dédié à M. et Mme Cullaz traducteurs de l'autobiographie de Bechet.
2. POT-POURRI SOLO
In a sentimental mood (du Duke encore, le père de tous les instruments de jazz) constitue une brève évocation de J. Hodges. Lorsqu'on écoute ses enregistrements d'après 1930, que ce soit en petite formation ou dans l'orchestre de Duke, on trouve toujours cette fluidité et cette passion, cette grâce et cet équilibre parfait qui sont les caractéristiques de son style.
C'est My Favorite Things, le cheval de bataille de Coltrane, qui, il y a quinze ans, sortit l'instrument une fois pour toutes de son isolement et démontra, en une démarche à la fois révolutionnaire et spirituelle, son aptitude à l'expression abstraite. Pendant ce temps, j'allais de l'avant et élaborais un style quaujourd'hui, à la fin des années 70, on pourrait qualifier d'expressionnisme structural, poly-free et néo-tonal ou selon lexpression de Ted Joans, de free-cool.
3. STALKS
Ce trio (dédié à F. Dostoïevski) est une sorte de poursuite, de chase à caractère obsessionnel. Adolphe Sax aurait peut-être été étonné des nombreuses techniques peu orthodoxes utilisées ici telles que mordre lanche, inspirer, souffler par le pavillon, user de faux-doigtés ou de quintoiements, mais il est bien possible que non, vu l'étendue de son imagination musicale. Dans cette sorte d'improvisation, chaque membre du trio contribue librement au développement du récit ainsi quau retour du thème à la fin.
3 POINTS est une prospection des possibilités actuelles et futures du soprano. Il paraît logique, maintenant quil existe un certain nombre dinstrumentistes accomplis comme Joseph Jarman, Oliver Lake ou Evan Parker, dexplorer systématiquement certaines associations, comme ici à deux sopranos. Il y a plus de sept ans que Steve Potts et moi-même expérimentons et jouons ensemble. Au bout de quelque temps de pratique commune, nous avons commencé à remarquer l'apparition de curieuses voix en surplus, produites par les différences et les similitudes de nos sons individuels, et aussi la multiplication et l'imbrication de certaines harmoniques extravagantes qui, en raison peut-être de sa forme conique, sont des caractéristiques inhérentes du soprano.
l.FREE POINT, entièrement improvisé, est dédié au producteur, critique et écrivain japonais, Aquirax Aida.
2.STILL POINT. Ce blues constitue une tentative dimitation du son du vibraphone, autre instrument brillant. Il est dédié à Milt Jackson.
3.MOOT POINT. Ce morceau en forme de conversation, de discussion sur un point ambigu, est destiné à John Lewis, pianiste et compositeur du Modern Jazz Quartet.
La beauté des saxophones, et aussi de la guitare, du piano et dautres instruments occidentaux accessibles, réside dans la multiplicité des façons den jouer. Aussi la musique peut-elle se développer elle-même au cours de lexploration de leur potentialités. Ces instruments sont de nos jours vraiment ouverts et, nombreux sont ceux qui, de par le monde trouvent leur propre voix à la faveur de leur recherche artistique sur la nature de ces matériaux musicaux à leur disposition (tel que le saxophone soprano).
Steve Lacy, adaptation française Alain-René Hardy (excerpt from liner notes)